Démarche artistique

Je peins des pierres, de petites pierres, de celles que l'on ramasse sur les chemins. Je crée ainsi de petits objets en volume (les plus petits mesurent 1 centimètre, les plus grands une vingtaine).

Ce sont des miniatures. J'aime à considérer que mes pierres peintes sont des miniatures, comme celles que les moines consciencieux ont peintes dans les pages des antiphonaires ou des bibles médiévales et sur lesquelles il faut se pencher pour en découvrir l'extraordinaire beauté. Je me garde bien sûr d'un trop grand orgueil et ne saurait comparer mon travail à celui des enlumineurs du Moyen-Âge. Ce sont seulement mes frères comme les maîtres compagnons sont les frères des artisans plus modestes.

Je suis une peintre autodidacte. Enfant, j'aimais dessiner, j'ai pratiqué un peu la gravure et le dessin dans une école d'arts plastiques, dans mon adolescence, et puis je me suis tournée vers la musique que j'ai enseignée, puis vers le théâtre, l'art du conte en particulier et j'en ai fait mon métier. En dehors des arts de la scène, tous les arts et la peinture en particulier m'ont toujours attirée.

C'est en 2006 que j'ai commencé à peindre (sur) des pierres. Pas sur des galets, ni sur des cailloux. C'est bien de pierres dont je parle, de l'objet-pierre et du matériau.

 

Ce que je peins sur mes pierres, je ne pourrais pas le peindre sur une toile ou une surface plane et blanche. C'est la forme de la pierre qui me dit ce que dois peindre, ce que je vois, c'est son grain, sa couleur, son poids qui me le dictent. Je me souviens de ce mot d'enfant – je ne sais pas qui l'a rapporté – demandant à un sculpteur devant son œuvre de pierre achevée : "Comment tu savais qu'il y avait ça à l'intérieur ?" C'est qu'il y a quelque chose dans le matériau qui parle. Bien sûr, extraire une forme neuve d'un bloc compact relève d'une autre démarche plastique et constitue une prouesse technique loin de mon travail, mais il y a quelque chose, non pas à l'intérieur mais à la surface de la pierre, qui me parle et que je révèle.


Ce que disent les pierres

J'ai pour métier conteuse ou "Raconteuse d'histoires", c'est dire si j'aime qu'on m'en raconte, des histoires. C'est ce que font les pierres : parfois elles me disent un visage biscornu ("Le poivrot") ou me racontent une drôle d'anecdote ("Grosse dame qui passe"), parfois elles font surgir des êtres merveilleux ou étranges ("Zénobie", "Ouistiti") et peuvent même exprimer une étonnante légèreté ("L'envol").


Souvent elles me révèlent des visions moins naïves d'un monde bien réel et parfois dramatique. Le sujet peut ainsi être très sombre, terrible ("Malheur au vaincu", "L'ogre") et relever du cauchemar ou de la vision ("Un clou dans la tête")...

 

...mais aussi du rêve ou du fantasme ("La prophétesse", "L'homme et le hareng").



Je procède aussi au collage de pierres entre elles ("Azraël"). Je ressens une correspondance entre des formes et je les associe. Parfois j'ai besoin pour "aider la pierre" de lui en associer d'autres et elles forment alors un ensemble cohérent qui me permet de représenter ce que j'ai en tête ("Il manque un bout à ma mémoire", ci-dessus)



Les sujets

La quasi-totalité des sujets représentés porte sur des personnages, la plupart humains. Je peins l'humain. Je traduis à travers mes peintures les nuances des états de l'être. La monstruosité n'est souvent qu'apparente. Ainsi cette "Grande mère", tout animale ou monstrueuse qu'elle semble, est une image de la gravité tranquille et vigilante de la maternité.


Je vois dans la "Maternité" de cette autre femme, au corps contrefait, diminué, autant de puissance et d'amour que dans une madone de la Renaissance. Ce n'est pas seulement l'influence du cubisme qui m'a fait représenter ainsi cette mère, c'est le portrait d'une femme existante.


Ces états différents de l'humain, c'est ce que je traduis dans mon "Ancienne beauté" si pathétique, "Ben vieux", un ami que j'ai "vu" dans sa grande vieillesse, ou encore mon "Ange débutant" débarquant dans la vie avec naïveté et scepticisme.

J'affectionne particulièrement "La créature". Elle se situe entre l'image idéalisée de la mère et celle de l'ange gardien, toute de force et de bonté.

 La "Flamme blanche", "Sur la sellette" sont également des figures expressives, simples, peut-être naïves et pourtant puissantes de personnes humaines.


J'aime penser que la modestie des œuvres réalisées n'enlève rien à leur qualité expressive ni à leur profondeur. Mes toutes petites stèles ("Ancienne divinité") sont les sœurs des monolithes majestueux élevés par les peuples antiques. Je ris souvent et porte sur les choses et les gens un regard ironique et humoristique et souvent très tendre ("Les choristes").

Je rends parfois d'humbles et secrets hommages à des artistes renommés, ceux dont j'ai admiré l'œuvre au cours d'expositions ("à Schiele", "à Dubuffet")


Inspiration, style(s) et matériaux

Mes sources d'inspiration sont dans la vie même, dans mes fantasmes, mes lectures, dans l'actualité, dans les contes et les mythes que je connais bien aussi. Tout cela affleure de-ci de-là dans une image, un titre.

 

Les styles sont variés et ce dont je me sens le plus proche est l'Art Brut et les arts qui s'y rattachent. L'Art Brut n'est pas un style mais tous les styles, c'est pourquoi, si je veux ranger mes productions dans un genre, c'est celui-là qui y correspondrait. Je me reconnais dans les artistes de l'Art Brut, autodidactes, simples, libres de contraintes, naïfs, possédés, passionnés, déraisonnables, obsédés et obstinés, hors normes si ce n'est a-normaux…

 

Je suis attirée par des supports et des techniques qui sont tout sauf "nobles". J'aime les petits objets qui n'ont pas de prix. Mes petites pierres ne sont pas précieuses, elles ne coûtent rien.

La peinture acrylique que j'utilise est si peu chère et dure si longtemps. J'utilise parfois du bois flotté ou ramassé dans la forêt pour créer des objets du même genre que mes pierres peintes.


Enfin je ne suis pas une professionnelle. J'ai longtemps travaillé dans le secret, ne voulant pas rendre visibles mes productions. Aucune paroi n'étant totalement étanche, elles sont arrivées à être connues d'un petit nombre d'amis. C'est ainsi qu'est né en 2018 le projet "Ricochets" à l'initiative d'une amie musicienne et poétesse, Yaël Ménassé : des élèves de conservatoire ainsi que leurs professeurs ont travaillé à la composition et à l'improvisation sur un choix de mes Pierres Peintes et des poésies de Yaël, inspirées par elles. (Les compositeurs Christophe de Coudenhove et Nicola Giosmin ont composé des œuvres à cette occasion).

C'est ainsi que peu à peu j'ai accepté et souhaité être ouverte sur le monde et osé montrer mes réalisations.


Avançant en âge, je suis libérée de nombres de contraintes à la fois matérielles et psychologiques, plus résistante à la critique, moins sensible au rejet, plus solide dans l'adversité, enfin plus confiante en ce qui me fait telle que je suis.

 

J'ai fréquenté plus de vingt ans durant le monde du spectacle et j'y ai ma place. J'aborde un nouveau monde avec l'intention de m'y creuser une petite place et j'espère le découvrir dans la nouvelle peau d'une artiste plasticienne. Je suis consciente que je n'appartiens pas au "Grand Art", si tant est qu'il existe, et que mes productions peuvent ne sembler apparentées à rien d'autre que des objets inclassables dont on peut à peine dire qu'ils sont de l'art. Mais si j'appartiens bien à cet Art Brut, alors ma place est bien là, dans la folie de ma candidature à ce prestigieux prix pour représenter un art si souvent en marge du monde de l'art.